Comprendre le numérique pour comprendre les startups
Il ne suffit pas d’utiliser les dernières technologies pour être une entreprise numérique.
Les GAFA sont sans doute les représentants les plus médiatiques de l’économie numérique. Les startups sont aussi très emblématiques, pas une semaine ne se passe sans tomber sur un article « startup » qui relate une levée de fonds ou un incroyable « fail » riche d’enseignements.
Mais quelle est la différence entre une startup et une PME ? Comment reconnaître une entreprise classique qui se fait passer pour une entreprise numérique ? Pourquoi ne suffit-il pas d’utiliser les dernières technologies pour être une entreprise numérique ? Vous-même peut-être que vous avez un doute sur ce que vous faites ?
Maîtriser cette notion et les nuances qu’elle comporte me paraît essentiel pour comprendre le monde qui nous entoure. Mais cette connaissance est surtout fondamentale pour les entrepreneurs, car nous verrons que les stratégies à mener, que vous lanciez une startup ou bien une PME, sont bien différentes.
Et ce, à tous les niveaux : business model, potentiel de croissance, politique de recrutement, stratégie de financement, etc.
Dans la première partie de ce billet, je vous livre une réflexion un peu longue, mais néanmoins nécessaire pour comprendre le framework d’analyse que je vous transmets en dernière partie.
La puissance du nombre
La juxtaposition des mots « économie » et « numérique » fait référence à une « économie des nombres ». Cette vision mathématique donne la priorité aux nombres sur les autres types d’informations. Qu’est ce que cela implique-t-il ?
La photographie, la vidéo, ou le cinéma sont devenus des technologies numériques quand les informations ou messages qui les sous-tendent ont quitté le registre analogique pour passer au numérique.
Jean-Louis Beffa l’exprime clairement :
Tout message peut être codé sous forme de nombres. La représentation numérique repose donc sur des données traduites en nombres.
Jean-Louis Beffa, président d'honneur de Saint-Gobain
Une fois que l’information prend la forme de données numériques, il devient beaucoup plus aisé de la collecter, la traiter, l’analyser et la partager… tout devient possible !
On peut alors lui appliquer des calculs de différentes natures, comme les statistiques, ce qui ouvre de nombreuses possibilités de traitement : le langage des nombres facilite l’établissement de corrélations entre des ensembles d’informations.
L’information, un bien atypique
Nous avons vu que l’information se trouve au centre de la technique numérique. Je vous propose d’aller un peu plus loin et d’étudier la nature même de l’information. Au cœur de l’entreprise numérique (et donc des startups !), nous verrons que cet objet n’est pas comme les autres…
Non-rivalité et faible exclusion
Sur Deezer, vous payez votre abonnement mensuel moins de 10 €. Ce prix vous confère le droit d’écouter à volonté des milliers d’heures de musique et de jouir d’une diversité quasi illimitée d’artistes et de presque tous les genres musicaux.
Ainsi, vous disposez d’une information (au sens large : vidéos, musiques, presse, etc.) sans payer la totalité du prix lié à sa production. Ce même bien peut être consommé par plusieurs personnes sans que de votre côté, vous ne perdiez son utilité (aucune dégradation). On dit alors que l’information est un bien non-rival et faiblement exclusif.
La scalabilité
Lors de sa dernière levée de fonds, Deezer a revendiqué près de 14 millions d’abonnés. En croissance depuis plusieurs années, il y a fort à parier que la plateforme comptera un utilisateur supplémentaire parmi ses abonnées demain, pourtant celui-ci n’augmentera pas les coûts.
L’information possède donc une autre particularité qui rend possible l’existence d’économie d’échelle sans aucune mesure avec celle de la « vieille » économie.
Important
Si l’information (toujours au sens large : résultats boursiers, magazines, films, musiques…) est coûteuse à produire, elle ne coûte pratiquement rien à diffuser. En effet, la production de la première unité (de l’original) requiert des coûts fixes importants (mettre en place un système de collecte de l’information, produire un film, un logiciel de jeu, une musique…), mais il n’y a pas de charges variables relatives au nombre de personnes qui la consomme. L’économie numérique est une économie où le coût marginal de la diffusion est nul.
Pour reprendre l’exemple de Deezer, une chanson coûte beaucoup à produire (la production de la première unité), mais qu’il y ait 10 ou 100 000 écoutes par jour, cela ne change pas les coûts.
Les externalités de réseau
Le second avantage que possède l’économie numérique sur l’économie traditionnelle est le fait de profiter des externalités de réseau : l’usage du réseau par un utilisateur augmente l’utilité des autres, sans qu’il n’y ait de contrepartie monétaire.
Plus il y a d’abonnés à Deezer, plus il est intéressant pour les artistes d’y diffuser leurs chansons. Plus il y a de chansons, plus la plateforme est utile et attire de nouveaux utilisateurs. Tout comme pour le téléphone, plus il y a d’abonnés à un réseau, plus il est intéressant d’avoir un téléphone.
Cette caractéristique va entraîner ce que l’on appelle un effet « feed-back » positif dans l’économie numérique. Plus un produit se diffuse, plus il sera acheté par d’autres, sans qu’il y ait de limites à sa progression. En d’autres termes, le succès appelle le succès.
Quelles sont les conséquences ?
Une entreprise qui n’arrive pas à imposer son standard verra sa part de marché décliner rapidement. En revanche, une entreprise qui fait de son produit la référence peut conquérir 100 % du marché.
Pour le consommateur, la contrepartie des externalités de réseaux est qu’il devient coûteux de changer de produit, même si le concurrent a des qualités techniques supérieures, car cela revient à s’isoler par rapport au réseau initial et fait perdre les avantages de l’appartenance à un groupe.
Enfin, les entreprises ont une emprise sur l’historique et les données d’utilisation du produit qui eux aussi peuvent augmenter les coûts de changement de leurs clients. Si demain vous quittez Deezer pour Spotify, vous perdrez vos chansons favorites, vos playlists et peut-être vos abonnés…
Le 7 novembre 2013, jour de l’entrée en Bourse de Twitter, un commentateur de la chaîne télévisée de Bloomberg a déclaré, au sujet de l’application, ceci :
You Could Code Twitter in a Day. Then, You'd Just Need to Build the Network and Infrastructure. Didn't Know it Was so Easy !
@libovness, commentateur de la chaîne télévisée de Bloomberg.
Comprenez que Twitter est une simple application qui peut être développée, avec quelques notions de base en informatique, par n’importe qui.
D’ailleurs, il existe des dizaines de clones de la plateforme. Mais aucun n’a réussi à supplanter le célèbre réseau social. Pourquoi ?
Une entreprise concurrente peut offrir un service plus performant, elle aura beaucoup de mal à recruter des utilisateurs, car ceux-ci ne voudront pas perdre la réputation qu’ils ont durement acquise sur Twitter.
Temps, énergie et parfois argent, ils ont durement acquis leurs followers et leur influence. Pour eux, il paraît inconcevable de repartir de zéro sur une nouvelle plateforme.
Framework : les 3 ingrédients clés
Concrètement, comment distinguer une entreprise numérique ? Voici un framework qui pourra vous aider. Il se décline en 3 points.
Les bases de données et internet
J’aime la simplicité de la définition de l’économie du numérique de Meunier :
Les entreprises numériques sont celles qui sont en capacité de collecter et de stocker des volumes gigantesques d’information dans des bases de données, puis de leur appliquer des algorithmes pour traiter et rendre compréhensibles cette information.
François Meunier est économiste, auteur et chroniqueur. Il enseigne la finance à I'ENSAE Paris Tech.
Les entreprises du numérique sont donc celles qui mettent les données au cœur de leur stratégie. Ce qui signifie qu’elles se posent les questions suivantes : Quelles sont les informations ? Où sont-elles logées ? Comment les stocker ? Comment les faire parler ? Leur objectif est de passer sous codage numérique le plus d’activités possible.
Cette première définition nous permet de tirer un premier portrait de l’entreprise numérique qui est celle dont l’offre est numérique par nature contrairement aux autres qui sont utilisatrices de services numériques et donc clientes des premières.
La connexion
François Meunier va plus loin et nous donne une troisième clé :
Les entreprises numériques sont celles qui opèrent des échanges et des transactions sans contact physique entre les gens, par simple circulation de données numériques.
Jean-Louis Beffa, président d’honneur de Saint-Gobain
Retenez que grâce au progrès technique, ces entreprises peuvent désormais offrir des espaces d’échange d’informations à moindre coût pour leurs utilisateurs tout en garantissant un excellent niveau de sécurité sur la nature, la qualité des produits et des participants de l’échange (exemple : acheteur et vendeur sur Le Boncoin).
C’est pourquoi il nous paraît si naturel de payer un produit sur Amazon aujourd’hui, sans l’avoir ni vu, ni même touché préalablement. Sans même connaître le vendeur. Auriez-vous accepté de louer votre chez vous à un inconnu avant AirBnb ? Probablement pas.
Les utilisateurs ont besoin d’échanger des informations supplémentaires avec leurs interlocuteurs avant d’en arriver au stade de la transaction, ils ont besoin de créer un lien de confiance. Les entreprises numériques l’ont très bien compris et mettent en place des systèmes sophistiqués (notation, messagerie, etc.) pour créer ces conditions qui permettent la conclusion de la transaction.
Cette fois-ci, la définition permet d’écarter du champ numérique les projets ou entreprises qui, certes, appartiennent au monde des startups et de l’innovation, mais sans répondre à cette caractéristique d’interface démultipliée entre les personnes ou les entreprises.
On en arrive à mettre de côté les entreprises de la biogénétique, des imprimantes 3D, des supraconducteurs, etc. qui ne sont pas numériques, même si elles ne se privent pas d’utiliser les dernières technologies numériques.
Résumé
On retrouve trois ingrédients dans une entreprise numérique. Le premier ingrédient, c’est la base de données qui donne la capacité de collecter et de stocker des quantités quasiment illimitées de données. Les moteurs de recherche qui donnent la capacité de plonger dans cette base de données pour les faire parler en est le second. Le dernier ingrédient étant la capacité de l’entreprise à connecter les individus entre ses utilisateurs afin qu’ils partagent et profitent de ces données.