Pourquoi Blablacar est une startup ? Pourquoi Tesla n’en est pas vraiment une ? Quelle différence y a-t-il entre une PME et une startup ?
Certains sont « pro-startup » d’autres sont « anti-startup »… En tout cas, une chose est certaine, ce mot ne laisse pas indifférent. Je ne vais pas rouvrir le débat du pour/contre. Ce qui m’intéresse dans cet article, c’est de clarifier le terme.
Pourquoi ? Car à force d’être utilisé à tort et à travers, ce terme a perdu de son sens. Il en devient même dangereux.
Plusieurs fois, j’ai accompagné des entrepreneurs qui pensaient faire une startup alors qu’ils créaient des PME. Et c’est grave.
Il n’est pas rare non plus de voir des structures d’accompagnement accompagner de la même manière des startups et des PME, et de ne pas faire la distinction dans leurs conseils. Et ça aussi, c’est grave.
Important
Entendons-nous bien, ce n’est pas grave de faire une PME. Non, ce que je veux dire c’est que c’est grave de faire une PME en pensant faire une startup. C’est grave de donner des conseils de startup à des entrepreneurs qui construisent une PME. Cela peut être très contre-productif et même mener à l’échec. Pourquoi ? Parce que les potentiels de croissance n’ont rien à voir, les business models sont différents, les stratégies de financement, de recrutement, d’acquisition… sont très éloignées. Bref, ce n’est pas le même monde.
À travers cet article, j’essaierai aussi de tordre le cou à certaines idées reçues du type « C’est normal qu’une startup perde de l’argent », qui font beaucoup de mal à cette manière d’entreprendre.
Pour structurer cette réflexion, je prends comme cadre la définition de Steve Blank :
Une startup n’est pas une plus petite version d’une grande entreprise. Une startup est une organisation temporaire à la recherche d’un modèle d’affaires répétable et scalable à rendements croissants.
Steve Blank, entrepreneur de la Silicon Valley et reconnu comme l’un des pères du customer development, méthode qui a inspiré le Lean Startup.
Une startup est une organisation temporaire
La traduction française du mot « startup » est « jeune pousse ». Le fait d’être en création confère un premier avantage, celui de n’avoir rien à perdre. Contrairement à une entreprise établie, une startup ne s’embarrasse pas d’un héritage ou d’un cœur de métier. L’absence d’infrastructure préexistante lui permet d’embrasser directement la dernière génération de logiciels et d’outils.
Elle n’est pas embarrassée, comme les banques par exemple, par un héritage informatique, sous la forme de lourdes infrastructures coûteuses à entretenir, avec des bases de données de générations différentes, mal connectées les unes aux autres.
La startup dispose donc de toute l’agilité nécessaire et de la souplesse pour pouvoir « pivoter » rapidement, c’est-à-dire changer son modèle ou sa raison d’être en fonction des réactions de ses premiers clients.
Mais l’âge n’est pas une caractéristique suffisante. Il ne suffit pas à une entreprise d’être née il y a peu pour être qualifiée de startup. Sinon toutes les TPE et PME seraient des startups dans leurs premières années. Ce qui la distingue, c’est son ambition. La startup a vocation à grossir et devenir leader sur son marché mondial ou au moins continental.
D’après Jean-Baptiste Rudelle, fondateur de Criteo, cette ambition l’oblige à se doter d’une structure particulière, une structure qui doit lui permettre d’aller chercher cette croissance, coûte que coûte et finalement peu importe qu’elle ne décolle jamais :
Une startup n’est pas une entreprise de croissance. Certaines startups ne décollent jamais, la majorité en fait. Une startup, c’est une entreprise bâtie pour la croissance.
Jean-Baptiste Rudelle est un entrepreneur et dirigeant d’entreprise française, fondateur et Président de Criteo.
Lorsqu’elle parvient à dominer son marché, elle devient alors une entreprise établie. Son statut de startup est donc un statut transitoire.
Une startup est à la recherche d’un business model
Pour Annabelle Bignon et Younès Rarbaoui, l’âge n’est pas un critère. Ils prennent pour exemple Snapchat qui, après presque 10 ans d’existence, est toujours une startup. Pourquoi ? Parce qu’elle cherche toujours son business model.
Une startup est une organisation qui cherche à construire un business model tandis qu’une entreprise souhaite avant tout optimiser son business model. En d’autres termes, une startup quitte ce statut et devient une entreprise établie à partir du moment où elle sait comment créer et capturer de la valeur. Elle a trouvé comment générer une source de revenus stable et prédictible.
Pour y parvenir, la startup empreinte des chemins inconnus. Éric Ries dit qu’elle évolue dans un contexte d’incertitude :
S’ouvrir à un nouveau marché qui reprendrait à l’identique un même business model, les mêmes tarifs, la même clientèle cible et le même produit constitue peut-être un investissement économique attractif, mais cela n’a rien à voir avec une startup, car son succès ne dépend que de son exécution. C’est si vrai que sa réussite peut être modélisée avec une grande précision.
C’est pourquoi tant de petites entreprises se financent à l’aide d’un simple prêt bancaire. Le niveau de risque et d’incertitude est suffisamment connu pour que le banquier qui accorde un crédit puisse évaluer ses chances de réussite.
Eric Ries, entrepreneur américain, cofondateur d’IMVU, surtout connu pour avoir écrit le best-seller The Lean Startup, livre dans lequel il expose sa théorie du même nom.
Une startup est innovante
Pour Christensen C. la recherche d’un nouveau business model passe par l’innovation, chose trop difficile pour une entreprise établie.
Verdier H. et Colin confirment :
Obnubilée par son niveau de marge, dans l’obligation de croître pour satisfaire les attentes de ses actionnaires, elle n’est pas dans la disposition adéquate pour innover.
Verdier H et Colin N, auteurs du livre l’âge de la multitude : Entreprendre et gouverner après la révolution numérique.
Mais pourquoi ?
L’innovation est une activité initialement peu rentable et risquée, elle a donc plus à perdre qu’à gagner en proposant de nouveaux produits à ses clients. En les surprenant, elle peut les perdre.
C’est pourquoi, selon BEFFA J-L., elle propose un modèle d’innovation qui avance par petites touches :
Sa force naturelle d’inertie la conduit le plus souvent à tester l’innovation à la marge de son modèle d’affaires et pas au cœur, qui est le socle de son leadership, le pire étant que le consensus et le conformisme découragent tout simplement les agents créatifs de l’innovation en son sein.
Beffa Jean-Louis, président d’honneur de Saint-Gobain
On nage en plein dans « le dilemme de l’innovateur » de Christensen C. qui utilise ces termes pour décrire ces acteurs installés qui repoussent les innovations trop radicales.
Là où le leader va proposer une innovation incrémentale pour optimiser son modèle, la startup va proposer « un modèle de mutation radicale ». On parle de disruption ou encore d’innovation, de rupture.
Et ne vous laissez pas aveugler par les des dépenses massives de l’entreprise établie en recherche et développement qui ne doivent pas être confondues avec l’innovation, un processus qui rencontre son marché.
Qu’elle provienne de la recherche et du développement, de l’innovation ouverte, du design ou de toute autre origine, l’acceptation par le marché est le seul critère.
Prenons l’exemple de la souris d’ordinateur. C’est bien la société Xerox qui a créé cette interface utilisateur qui a révolutionné l’expérience du micro-ordinateur. Si Xerox en a été l’inventeur, c’est bien Apple, une jeune société à l’époque, mais déjà obsédée par la disruption, qui s’est emparée de cette invention pour en faire une innovation. C’est Apple qui a pris tous les risques pour lui faire rencontrer un marché.
RIES E. le formule mieux que moi en disant ceci :
La startup se consacre à la découverte d’une nouvelle source de valeur pour sa clientèle et se préoccupe de l’impact de ses produits sur elle.
Toutes sortes d’innovation : découvertes scientifiques, réorientation d’une technologie existante pour un nouvel emploi, conception d’un nouveau business model révélant des valeurs jusque-là cachées ou, tout simplement, proposition d’un produit ou d’un service dans un nouvel emplacement ou vers une clientèle précédemment ignorée.
Dans tous les cas, l’innovation est au cœur du succès de l’entreprise.
Eric Ries, entrepreneur américain, co-fondateur d’IMVU, surtout connu pour avoir écrit le best-seller The Lean Startup, livre dans lequel il expose sa théorie du même nom.
Le caractère innovant de la startup ne fait pas l’unanimité. Une fois encore, c’est Annabelle Bignon et Younès Rarbaoui qui émettent une opinion à contre-courant. Pour eux, le caractère innovant de la startup n’est pas automatique. Ils en prennent pour preuve les célèbres copies de l’accélérateur Rocket Internet comme, Zalando par exemple, qui n’a pas innové, mais seulement copié une autre startup connue du nom de ZAPPOS.
Mais selon moi, il reste Zalando qui est innovant au sens de RIES. Le seul fait de s’adresser à un nouveau marché, le marché européen, est innovant.
Une startup est à la recherche d’un business model scalable
Ne confondez pas économie d’échelle (courbe rouge sur le schéma ci-dessous) et scalabilité (courbe violette) qui se traduisent en français à peu près par « rendement croissant d’échelle ».
Ce sont deux choses très différentes, la scalabilité est beaucoup plus puissante !
L’économie d’échelle
L’économie d’échelle est un concept de l’économie fordiste. Après la Seconde Guerre mondiale, il a fallu tout reconstruire très vite. Grâce à de nouvelles techniques de production, les entreprises fordistes ont atteint des niveaux de productivité et de rentabilité jamais connus jusqu’alors.
Les techniques les plus connues, qui sont la division du travail (séparation entre conception et réalisation, parcellisation des tâches, etc.) et la standardisation (permettant de produire en grandes séries à l’aide de pièces interchangeables) ont permis de produire en masse, réduisant de manière mécanique le coût unitaire de production.
Pour faire simple, si une usine produit une seule voiture dans l’année, elle coûtera très cher. En revanche, si elle en produit 10 000, chacune d’entre elles coûtera beaucoup moins cher.
L’industrie, l’agriculture, lma banque… tous les pans de l’économie ont adopté ces principes, créant des entreprises mondiales. Par exemple, Louis Vuitton a été un des premiers à industrialiser le luxe. On pensait que c’était impossible, mais il est numéro 1 aujourd’hui.
Mais, ce principe d’économie d’échelle à des limites, aucune entreprise n’a dominé en totalité son marché. Si aucune n’a raflé toute la mise, car il existe une taille au-delà de laquelle les coûts unitaires ne peuvent pas être inférieurs. Au contraire, certains économistes tels que « Shapiro C. et Hal R. » ont démontré qu’ils recommencent à augmenter en raison d’itinéraires de production plus longs, du nombre plus élevé d’employés générant une inertie bureaucratique et un pouvoir de négociation collective plus forte. Pas de winner takes all dans l’économie fordiste avec les économies d’échelle, plutôt des oligopoles : The winners take most.
La scalabilité est plus puissante
D’un côté, le numérique a rendu les marchés globaux. En quelques clics, les acheteurs peuvent comparer les offres du monde entier et choisir celui qui comporte le meilleur rapport qualité/prix. Toutes les vitrines de toutes les boutiques du monde sont accessibles depuis mon ordinateur. Je peux souscrire à la meilleure offre parce que je sais qu’elle existe et j’y ai accès. L’information est beaucoup plus accessible, rendant mécaniquement la concurrence beaucoup plus féroce.
De l’autre, le numérique permet les effets de réseau : l’usage du réseau par un utilisateur augmente l’utilité des autres, sans qu’il y ait de contrepartie monétaire (plus il y a de monde sur Facebook, plus le réseau est utile).
Ces deux phénomènes, le fait que tout le monde ait la connaissance des meilleurs services du monde entier et que plus un service est utilisé, meilleur il est, font qu’une seule entreprise peut dans cette économie numérique, rafler toute la mise : The winner takes all.
Important
Une scalabilité parfaite implique des coûts fixes stables, des coûts variables par unité produite décroissants, et des revenus croissants : en clair, cela coûte de moins en moins cher et cela rapporte de plus en plus.
Je n’en dis pas plus, lisez le passionnant Nicolas Colin qui en a fait tout un billet.
Une startup est à la recherche d’un business répétable
Le modèle économique doit être répétable, c’est-à-dire qu’il peut être reproduit dans des endroits différents avec le moins de frictions que possible afin de générer une croissance rapide.
A priori, on est tenté de dire que le modèle d’Uber, célèbre application de mise en relation conducteur client, est hautement répétable puisqu’on peut trouver un Uber à New York comme à Paris. Pourtant, la réalité est beaucoup plus dure, Uber a perdu son droit d’opérer à Londres en 2017.
Une startup est à la recherche d’un business profitable
Dans une interview accordée à la Tribune, Frédéric Mazalla dit ceci :
Par définition, une startup n’est pas rentable, sinon elle n’irait pas lever des fonds auprès de capitaux risqués !
Mais si nous visons la rentabilité avant l’expansion internationale, à la vitesse où vont les choses […], nous risquons de nous faire ravir toutes les places de marché : nous avons donc inversé l’étape de la rentabilité avec l’expansion qui est très coûteuse.
Mazella F., Fondateur de Blablacar.
À travers ces mots, on comprend qu’une startup qui décide d’adopter une stratégie de développement et de croissance internationale peut entraîner des coûts tellement élevés que la startup n’en tire pas encore de rentabilité. Mais ce n’est pas parce qu’elle n’est pas rentable qu’elle n’est pas profitable. Nuance !
Important
Il est nécessaire de distinguer les startups qui sont déficitaires pour de mauvaises raisons des startups qui sont déficitaires pour de bonnes raisons.
Une startup qui est à perte pour de bonnes raisons est une startup dont le modèle économique est sain et profitable. C’est-à-dire que la business unit est positive. Concrètement, chaque utilisateur pris individuellement est rentable. Ce sont souvent les coûts de développement, comme par exemple le déploiement dans un nouveau pays et les dépenses massives qu’il implique qui font que l’entreprise est globalement en perte. Mais le business modèle reste profitable !